« My kingdom for a horse ! » : le Royaume-Uni va-t-il échanger son appartenance à l’UE contre celle à l’AELE ?

Europe

Depuis le Brexit référendaire en juin, les spéculations sur l’avenir politique du Royaume-Uni en Europe vont bon train. Trois hypothèses réfutables à propos d’une adhésion à l’AELE.

Plusieurs commentateurs, y compris en Suisse, ont estimé qu’il était temps que Londres trouve des alternatives à l’adhésion à l’UE (voir bit.ly/2d2siJu). Leur conclusion est la suivante : le Royaume-Uni devrait déposer une demande d’adhésion à l’Association européenne de Libre échange (AELE) dont le siège est à Genève. Selon eux, une adhésion à l’AELE permettrait au Royaume-Uni de remplir trois objectifs : (hypothése 1) garder un accès au marché intérieur de l’UE ; (hyp. 2) éviter de devoir adopter des législations de l’UE ; (hyp. 3) développer une politique commerciale ouverte. Cette analyse est-elle convaincante ?

La réponse est non. En effet, l’analyse en question est basée sur des approximations ou, pire, des confusions. Tout cela n’est guère surprenant. Peu de gens connaissent l’AELE et encore moins son histoire et ses compétences/fonctions.

Malheureusement pour les Britanniques, il ne leur suffira pas de troquer leur appartenance à l’UE par celle à l’AELE pour rentrer dans un monde libre-échangiste, souverainiste et prospère. En réalité, une adhésion à l’AELE ne remplira très probablement aucun des trois objectifs mentionnés ci-dessus. Tout au plus permettra-elle de « limiter la casse » d’un hard Brexit et encore, seulement en matière de commerce international.

AELE, une survivance

Historiquement, l’AELE est une institution ayant seulement pour but d’organiser un régime de libre échange industriel entre ses membres. Les produits agricoles sont exclus du champ d’application de la Convention AELE conclue en 1960 à Stockholm (texte fondateur toujours en vigueur aujourd’hui). Contrairement à ce qu’avancent plusieurs analystes, l’AELE n’est donc qu’une organisation visant à « arrimer » économiquement ses membres à l’UE.

Si l’AELE réunissait de nombreux pays lors de sa fondation, la plupart de ses membres a fini par la quitter pour rejoindre l’UE à partir des années 1970. Au début des années 1990, après la création d’un véritable marché intérieur par l’UE, cet exode s’est encore accentué. Depuis 1995 seuls l’Islande, Liechtenstein, Norvège et Suisse demeurent membres de l’AELE. La même année, les trois premiers pays ont rejoint l’Espace économique européen (EEE). Ceci leur a permis d’accéder pleinement au marché intérieur de l’UE. La Suisse est quant à elle restée en dehors de l’EEE et a conclu des accords bilatéraux pour obtenir un accès partiel au marché intérieur.

Au début de la décennie 2000, alors que le premier paquet d’accords d’accès au marché intérieur (bilatéraux I) était sur le point d’entrer en vigueur entre la Suisse et l’UE, la convention AELE a été modifiée afin d’y inclure de nouveaux éléments (libre circulation des personnes et divers autres domaines de coopération). En modifiant la Convention de Stockholm de la sorte (en 2001 à Vaduz, au Liechtenstein), la Suisse a utilisé l’AELE pour étendre le champ des accords bilatéraux I à la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein et donc éviter que ces trois pays soient économiquement « discriminés » par rapport aux pays membres de l’UE.

Norvège : le modèle

Tant matériellement qu’institutionnellement, l’AELE n’est en rien liée à l’UE. Aussi, une adhésion seule à l’AELE ne permettra pas au Royaume-Uni de redevenir membre du marché intérieur après sa sortie de l’UE. Son seul effet économique notable et immédiat serait qu’elle permettrait à Londres de préserver des relations économiques intenses avec les pays membres de l’AELE via le maintien de la libre circulation des personnes (Convention de Vaduz de 2001). A ce sujet, il faut rappeler que 36’000 citoyens suisses sont répertoriés comme résidents officiels au Royaume-Uni. En outre, plus de 40’000 britanniques résident en Suisse. La plupart d’entre eux bénéficient des droits liés à la libre circulation des personnes et travaillent dans des entreprises à fort rendements (banques, assurances etc.). C’est dire que la question est loin d’être anecdotique.

En réalité, si le Royaume-Uni voulait vraiment demeurer au sein du marché intérieur, il devrait suivre les traces d’un pays comme la Norvège. Pour ce faire, il devrait agir en deux temps. Tout d’abord, il devrait rejoindre l’AELE. Surtout, dans un deuxième temps, il devrait signer le traité instituant l’EEE en tant que membre de l’AELE (il rejoindrait alors le « pilier » AELE de l’EEE). Seule la participation du Royaume-Uni à l’EEE pourrait lui garantir un plein accès au marché intérieur.

En rejoignant l’EEE, Londres s’engagerait aussi à adopter fidèlement toute l’évolution des lois et autres régulations européennes liées au marché intérieur et, ce, sans pouvoir les approuver au préalable lors du processus décisionnel européen. Au passage, le Royaume-Uni accepterait aussi de reconnaitre l’autorité d’une Cour supranationale dont la jurisprudence est semblable à la Cour de Justice de l’UE. En d’autres termes, l’EEE exposerait très largement le Royaume-Uni aux législations européennes et éroderait considérablement sa souveraineté par rapport à son statut de membre de l’UE. Un récent rapport d’experts et d’académiques de premier plan a d’ailleurs constaté que la participation d’Oslo à l’EEE avait créé un « déficit démocratique » important et préoccupant pour la démocratie norvégienne (voir bit.ly/2dOfIuS).

Libre échange : plus qu’une formalité

Au niveau commercial, une adhésion à l’AELE permettrait toutefois au Royaume-Uni de pouvoir progressivement retrouver de bons débouchés en dehors du continent européen. Il faut dire qu’en sortant de l’UE, Londres perdrait instantanément sa participation au réseau d’accords de libre échange que l’UE a patiemment conclu avec plusieurs dizaines de pays tiers (la politique commerciale est une compétence exclusive de l’union). Ceci étant dit, en rejoignant l’AELE, le Royaume-Uni devrait bénéficier du réseau d’accords de libre échange conclue par cette dernière. Ce réseau est assez comparable à celui de l’UE (38 pays couverts pour l’AELE contre près de 50 pour l’UE). Toutefois, le Royaume-Uni ne pourra immédiatement devenir partie à ces accords de libre après son adhésion à l’AELE. En effet, les pays tiers ayant signé un accord de libre échange avec l’organisation genevoise devraient formellement accepter de l’étendre au Royaume-Uni. Selon plusieurs sources au secrétariat de l’AELE, ce processus pourrait potentiellement être plus qu’une simple formalité suivant les préférences économiques des pays tiers en question. En effet, ces derniers pourraient voir d’un mauvais œil l’arrivée d’un grand pays dans des accords conclus entre eux et quatre pays AELE plutôt petits et homogènes en termes de préférences économiques. Ainsi, ils pourraient retarder le processus d’extension des accords au Royaume-Uni.

Pour le moment, rien ne dit que le Royaume-Uni adhèrera à l’AELE à la suite de sa sortie de l’UE. S’il décidait de le faire, il pourrait préserver de bonnes relations économiques avec les quatre membres de cette organisation. Il pourrait aussi « limiter » la casse au niveau de ce commerce international en bénéficiant progressivement de nombreux accords de libre échange avec des pays tiers assez comparable avec ceux de l’UE (hypothèse 3 plutôt vérifiée). Toutefois, une adhésion à l’AELE ne permettrait pas de retrouver un accès au marché intérieur de l’UE (hypothèse 1 non vérifiée) et de sauver les relations économiques avec les pays du continent européen. Il faut rappeler que ces relations sont de loin les plus importantes vues de Londres. Seule une adhésion à l’EEE ou, éventuellement, la conclusion d’accord bilatéraux semblables à ceux suisses permettraient d’atteindre ce but. Le prix à payer serait en revanche une exposition plus grande du Royaume-Uni à des lois décidées sans lui (hypothèse 2 non vérifiée).