Entre silos et consensus : aléas de la vie fédérale

Finanzplatz

De Julien BriguetVue de la City, la place financière suisse apparaît aujourd’hui assiégée. Qu’en est-il de la stratégie du Conseil fédéral fixée en 2009 dans le rapport Graber et dont le rapport d’évaluation annuel fut récemment publié? Est-ce que la place financière suisse est prête à faire face aux bouleversements politiques, économiques et financiers du 21ème siècle?

Ce blog est le dernier billet d’une série visant à jeter un aperçu sur les stratégies de développement de la de la place financière suisse tout en gardant un œil sur son actualité particulièrement riche depuis 2008.

Cette série de blogs sur la place financière suisse a permis de souligner la crispation idéologique entourant l’avenir de la finance en Suisse ainsi que le manque d’innovation qui caractérise bien souvent les solutions législatives suisses. L’Etat, qui joue un rôle essentiel dans la promotion et la défense de la place financière, en porte une part de responsabilité.

Entre Silos et Consensus

L’administration fédérale, et en particulier le SIF chargé de coordonner le travail législatif, souffre des défauts de ses qualités. Premièrement, son expertise juridique et diplomatique l’enferme dans un cloisonnement d’idées (Silos thinking) qui limitent de facto ses solutions – bien souvent dénuée d’un véritable regard issu du monde de la finance. Fait révélateur, aucun membre de la direction du SIF n’est issu de ce monde-là. La réforme récente de la loi sur les placements de capitaux (LPCC ; voir Blog III) en est l’exemple frappant. Le dialogue « Forum place financière » par lequel l’administration fédérale consulte le secteur financier est largement insuffisant pour pallier à ces manques. Deuxièmement, la pratique du consensus interne tend à brider le développement de solutions innovantes. Des crispations idéologiques au sein des cabinets ministériels au centre desquels se trouvent les Conseillers fédéraux influencent les rapports et analyses des acteurs de l’administration. Ceux-ci s’orientent alors souvent vers le consensus existant afin de maintenir leur influence. Il manque de « poils à gratter » législatifs grippant les rouages de cette fabrique de consensus.

Quelles solutions ?

Ce double mécanisme de cloisonnement et de fabrique de consensus freine l’innovation au sein de l’administration fédérale et contribue à renforcer sa conception passive de la finance. Ces quelques dernières années passées à étudier, travailler et voyager en Angleterre – dont le gouvernement est l’un des plus innovants au monde sur les questions financières – m’ont démontré le rôle central que l’Etat doit jouer dans l’amélioration, le renforcement et la stabilité de son système financier. Pourquoi ne pas imaginer le développement au sein de l’administration fédérale d’un concours financier, pendant du concours diplomatique ? Ce concours, dont le but serait de recruter des jeunes professionnels issus de la finance, serait suivi d’une formation de un ou deux ans au sein du SIF, de la FINMA et de la BNS. Il permettrait de rehausser l’attractivité des positions au sein de l’administration fédérale, d’attirer de jeunes trentenaires ayant une expérience professionnelle au sein du monde de la finance à l’étranger ou en Suisse, tout en renforçant la collaboration entre les institutions suisses chargées des marchés financiers.

Pourquoi ne pas bousculer l’organigramme du SIF en intégrant une nouvelle division chargée de la réforme et de l’innovation ? Cette division, directement sous les ordres du Secrétaire d’Etat, serait chargée de coordonner et d’examiner toutes les réformes législatives modelant les contours de la place financière ainsi que de la planification stratégique du futur de la place financière suisse. Pourquoi ne pas imaginer une diversification de la direction du SIF en imaginant l’intégration au sein de cette direction de personnes n’ayant pas une expérience directe de l’administration ? Cela permettrait d’encourager les passerelles entre le secteur financier et l’administration fédérale. Le SIF ne serait plus seulement le pompier diplomatique agissant dans l’urgence mais serait la source d’innovation et de réformes dont le secteur financier suisse a tant besoin.

Julien Briguet est membre du comité du foraus. Il vit à Londres et étudie à la London School of Economics and Political Science (LSE).

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