Du coton dans les oreilles : ou l’illusion d’un « LDC plus package »

Finanzplatz

De Julien BriguetL’OMC s’apprête à traverser un gigantesque carrefour avec du coton dans les oreilles. Au prix de sa propre crédibilité, elle continue à nier l’échec du cycle de Doha.

Réuni informellement hier (22.06) à Genève le comité consultatif des négociations de l’OMC a endossé la proposition de diviser le cycle de Doha. Le package prioritaire – nommé par le Directeur général Pascal Lamy le « LDC plus package » – devrait être conclu dès décembre. Il se concentrerait en priorité sur quelques problématiques urgentes permettant de favoriser les pays les moins développés (LDC), concernant notamment l’accès en franchise de droit et sans contingent pour les produits des LDCs ou une avancée dans le domaine du coton.

Si les motivations et la volonté de sauver le cycle de Doha sont louables, la solution proposée hier l’est beaucoup moins : elle revient à préférer l’empoisonnement à la pendaison. Si l’échec du cycle est prévisible dans les deux cas, le choix de l’empoisonnement risque de retarder la mise à mort d’un cycle structurellement impossible à conclure.

La nouvelle asymétrie du mini-package

L’accord partiel tel qu’envisagé par Lamy et soutenu par les majeurs pays émergents tels que la Chine, l’Inde et le Brésil n’a pas pour but de remplacer le cycle de Doha. Il est conçu comme une simple étape intermédiaire. La nature de cette division tend à aboutir à une situation de négociation difficile et tendue : l’asymétrie importante en faveur des LDC dont souffre ce package pourrait conduire les pays développés (dont les Etats-Unis, qui ont marqué leur opposition face à cette solution) à l’envisager comme un round en soi, diminuant d’autant leur incitation à accorder des concessions sans possible retour. La mécanique complexe de négociations de Doha (mêlant lien tactique entre objets de négociation, séries complexes de « trade-off » croisés, balance entre concessions et bénéfices compensatoires) que le mini-package tentait de percer revient au grand galop.

La position de la Suisse sur ce dossier est plus flexible et lui permettrait de s’aligner plus facilement que les Etats-Unis ou l’Europe sur une position proche des pays émergents. Elle reste à ce jour toutefois difficile à déceler.

Pierre d’achoppement des nouveaux dossiers prioritaires

La présentation des nouveaux dossiers prioritaires par Lamy il y a quelques semaines et sa confirmation hier sont un renversement des premières priorités d’un cycle centré sur la libéralisation du commerce pour les biens agricoles et industriels ainsi que les services. Ce renversement, bien loin de favoriser l’émergence d’un consensus, participe à la naissance d’une nouvelle mécanique négative.

Le choix du coton ainsi que du focus sur les LDCs, hautement symbolique, rend le délai de décembre plus qu’improbable. Eminemment souhaité par les nations pauvres car représentant une perspective de gain certaine, la libéralisation du coton est devenu un symbole du cycle en son entier. Il contribue à faire des Etats-Unis la nouvelle pierre d’achoppement de ce mini-package. La puissance du lobby du coton, contribuant à empêcher depuis 2004 déjà la mise en œuvre d’une décision de l’OMC contraire aux intérêts américains dans une affaire avec le Brésil, couplée à la campagne présidentielle américaine au sein de laquelle la protection des intérêts de l’économie est déjà considérée comme un point faible du Président Obama représente un obstacle majeur à une conclusion rapide d’un mini-package permettant d’avancer vers la conclusion du cycle de Doha.

Le développement comme outil tactique

La division envisagée du cycle ne pourra pas résoudre son ambiguïté fondatrice. Nommé à sa naissance le programme de Doha pour le Développement, les pays émergents l’ont immédiatement imaginé ambitieux et aligné sur leurs intérêts alors que les pays développés pensaient nouveaux marchés. La croyance que les dossiers les plus teintés « développement » sont les plus faisables participent de l’illusion et dissimulent le fait que le focus sur les pays en voie de développement comme outil de consensus représente l’échec du cycle lui-même.

Là où il aurait fallu une complète flexibilité (à la fois horizontale – entre Etats choisis – et verticale – en définissant des packages de manière plus libre), la décision prise hier conforte le déni à propos de Doha dans lequel l’OMC est tombé. Au lieu de la percée tactique espérée, la manœuvre est le témoin d’une faiblesse stratégique et de l’impasse dans laquelle l’OMC s’enlise au prix de sa propre crédibilité.

Julien Briguet a étudié les relations internationales (LSE) et le droit (université de Fribourg). Il est membre fondateur de foraus et membre du groupe de travail finance/économie.

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