Clause de sauvegarde : poudre aux yeux ou jeu dangereux ?

Europe

Après près de deux ans de grande incertitude, le Conseil fédéral a finalement annoncé qu’il avait une piste pour résoudre le problème de l’incompatibilité entre l’accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) et les nouvelles dispositions constitutionnelles (art.121a) en Suisse. Tout est donc bien qui finit bien pour le Conseil fédéral ? Rien n’est moins sûr…

 

Comme la presse alémanique l’avait anticipé, le Conseil fédéral souhaite désormais arriver à forcer la main de l’UE en se basant sur les procédures prévues à l’article 14 de l’ALCP. A l’occasion d’un récent article (http://bit.ly/1HPhaJT), j’avais déjà souligné les difficultés inhérentes à cette piste. Selon son interprétation usuelle, cette disposition met en place une procédure d’urgence en cas de grandes difficultés et non un instrument pour réduire l’immigration à long terme en situation de haute conjoncture.

Je reste donc sceptique quant à la finalité réelle de cette voie. Juridiquement, la Suisse n’est pas en mesure de pousser l’UE à s’assoir sur des principes élémentaires de droit en lui imposant une réduction drastique de l’immigration de travail sur des bases légales fantaisistes. En outre, politiquement, la Commission européenne ne souhaite toujours pas prendre le risque d’écorner le principe de la libre circulation des personnes. Ceci créerait sans aucun doute un précédant, forcément fâcheux, dans le contexte de la « renégociation » entamée par le Royaume-Uni.

Dans ces conditions, il n’y a qu’un seul type de « solution » consensuelle qui peut émerger des discussions sur les modalités de cette clause de sauvegarde. Il s’agit d’une solution où la Suisse et l’UE se mettraient d’accord sur des mesures peu ambitieuses et/ou en trompe l’œil (et les lient plus ou moins directement à un accord sur les questions institutionnelles auquel l’UE tient particulièrement).

Un jeu dangereux

Dans le cas d’un échec, le Conseil fédéral a déclaré qu’il mettra en place une clause de sauvegarde unilatérale. Les sept sages ont néanmoins refusé de communiquer sur ses modalités ou sur son champ d’application.

En agissant de la sorte, le Conseil fédéral a engrangé un certain capital politique. En effet, il montre qu’il tient à ce que la souveraineté populaire soit respectée. Ce haussement de ton est aussi un signal à destination de Bruxelles. Il s’agit de faire croire aux gardiens de l’orthodoxie à la Commission européenne que la Suisse agira de toute façon avec ou sans l’aval de l’UE. Ceci a pour but de pousser les Européens les plus intransigeants à trouver une solution consensuelle.

Toutefois, le Conseil fédéral s’est aussi lié les mains en fixant une obligation de résultat pour ses prochaines discussions avec la Commission, le tout assorti d’une date butoir (février 2017). Il risque de grandement le regretter si l’UE ne rentre pas dans son jeu et refuse de se montrer flexible.

A ce sujet, il faut rappeler qu’une application unilatérale d’une clause de sauvegarde serait immédiatement perçue par l’UE comme une violation grave des principales dispositions de l’ALCP. Dès lors, il est fort probable que Bruxelles ne resterait pas les bras croisés. Le champ de ses réponses possibles est vaste. Il comprend des contremesures ciblées mais non moins douloureuses pour les Suisses, voire une suspension ou, pire, une dénonciation de certains accords bilatéraux I.