La Pologne: un partenaire à ne pas rebuter

Diplomacy & international actors

De Laura Rutishauser – Avec l’activation de la clause de sauvegarde, la Suisse a heurté la Pologne. Pourtant, elle aurait tout intérêt à intensifier ses relations avec ce pays : son importance croissante au sein de l’Union européenne et son rôle face aux pays de l’Est en sont les principaux arguments.

Ces derniers temps, la Suisse et la Pologne semblent s’entendre de mieux en mieux : ils veulent se partager le siège au conseil d’administration du FMI, et deux ministres suisses ont ou vont visiter la Pologne cette année. Juste au moment où la Suisse accorde enfin plus d’importance à ce pays, le Conseil fédéral a pourtant décidé d’activer la clause de sauvegarde, cherchant à limiter l’arrivée de travailleurs des 8 pays entrés dans l’Union en 2004, dont la Pologne. Avec cette mesure, le nombre de travailleurs en provenance de ces 8 pays serait réduit d’environ 4000 personnes, de 6000 à 2000. Les réactions de la Pologne à cette mesure n’ont pas tardé, et force est de constater que les relations bilatérales entre la Pologne et la Suisse en sortent affaiblies.

Pourtant, la Suisse devrait tout faire pour améliorer ses relations avec la Pologne, leader naturel de l’EU-8. Dans le domaine des relations économiques, son potentiel a déjà été reconnu : l’un des 18 Swiss Business Hubs y a été installé. En effet, la Suisse a un bilan de paiement positif de 700 millions avec ce pays de 38 millions habitants, unique pays de l’Union européenne n’ayant pas connu la récession pendant ces récentes années de crise. La Suisse investit aussi en Pologne : l’état des investissements directs en fin de l’année 2010 était à 5.3 milliards, selon les chiffres de la BNS. Mais on devrait investir davantage, non pas en monnaie, mais en relations bilatérales.

Un partenaire parfait dans l’Europe

La stratégie de politique étrangère 2012 à 2015, en ce moment en consultation auprès des Commissions de politique extérieure, demande à ce que la Suisse renforce ses relations avec ses voisins en particulier, et l’Union européenne en général. Selon ce document, la politique étrangère suisse devrait aussi viser à renforcer la stabilité en Europe. La Pologne semble un parfait partenaire pour réaliser ces objectifs.

Tout d’abord, la Pologne a réussi à montrer du leadership en assumant la Présidence de l’UE entre juillet et décembre 2011. En cette période particulièrement difficile pour l’Union, elle a entre autres fait aboutir les négociations d’adhésion avec la Croatie. En plus, les relations entre la Pologne et la Russie se sont améliorées récemment, et certains observateurs parlent aussi d’un renforcement des relations entre la Pologne, la France et l’Allemagne au sein du « Triangle de Weimar ». La Pologne entretient par ailleurs des bonnes relations avec les pays de l’Est limitrophes à l’UE, telle que l’Ukraine ou la Moldavie, et les Etats du Caucase. Ces relations sont importantes pour des questions de stabilité politique, et pour l’indépendance énergétique de l’Europe, questions auxquelles la Suisse souhaite s’associer.

Convergence d’intérêts

Deux points supplémentaires pour souligner l’importance de relations fortes entre la Suisse et la Pologne : la Pologne est un des membres de l ‘UE qui n’a pas introduit l’Euro, il peut donc y avoir là encore convergence d’intérêts s’agissant de la politique monétaire de la Banque centrale européenne. Finalement, la Pologne et la Suisse peuvent être des partenaires complémentaires dans leurs efforts vers plus de démocratie : la Pologne apportant son expérience unique de transition démocratique, et la Suisse étant une démocratie très expérimentée.

Vu ces faits, la Suisse a tout intérêt à s’allier davantage à la Pologne. Elle pourrait devenir un important partenaire qui soutient la Suisse dans les négociations avec l’Union européenne dans son ensemble, et avec l’Allemagne et la France en particulier. Avec l’activation de la clause de sauvegarde, la Suisse risque pourtant de perdre cette importante opportunité.

Une mesure symbolique

Car force est de constater, comme l’a fait l’ambassadeur polonais, que l’activation de la clause de sauvegarde est un acte purement politique, voire même symbolique.

Est-ce que les 4000 personnes qui ne viendront plus travailler dans notre pays prennent des emplois aux Suisses ? On a du mal à le croire, puisque notre taux de chômage est l’un des plus bas en Europe, et de surcroît ces travailleuses et travailleurs sont surtout embauchés dans l’agriculture, l’hôtellerie ou encore les soins, domaines où les employeurs peinent à trouver des gens qualifiés sur le marché suisse.

Pour revenir au cas de la Pologne, l’immigration en provenance de ce pays ne devrait de toute manière pas atteindre, dans les deux années prochaines, le seuil du contingent maintenant établi. Dans les faits, l’activation de la close de sauvegarde ne change donc rien pour la Pologne. Toujours est-il que cet acte qui cherche à apaiser l’électorat suisse revêt une symbolique forte bien remarquée aussi en Pologne. Non seulement la Suisse met ainsi en question deux principes fondamentaux de l’Union – le traitement égal de tous les Etats membres et la libre circulation des personnes – mais la Suisse envoie aussi un signal clair qu’elle ne veut pas accueillir plus de travailleurs polonais, alors que ceux-ci contribuent à notre économie.

La politique électoraliste, nuirait-elle ainsi une fois de plus à nos intérêts à long terme en politique extérieure ?

Laura Rutishauser  est membre du groupe de travail migration. Elle vit à Genève, après avoir complété un MSc en Politique Comparée à la London School of Economics.

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