Investissements ESG : séparer le bon grain de l’ivraie

Ce blog a originellement été publié sur le blog du foraus “Diplofocus”, hébergé sur le site du Temps : Vers le blog original.

 

À quelques jours de la 3ème édition de Building Bridges à Genève, Aurèle Cotton, co-responsable du programme « Place Financière » du foraus, revient sur les récents déboires du label ESG et en analyse les implications pour le cadre réglementaire suisse en matière de finance durable.  

de Aurèle Cotton

Quel revirement pour le label ESG ! Selon Morningstar, les investissements visant à promouvoir des objectifs environnementaux, sociaux ou de gouvernance (ESG) ont connu une croissance fulgurante au cours des dernières années, passant d’une valeur totale d’un peu moins de 1’000 milliards de dollars début 2020 à environ 2’700 milliards à la fin du premier trimestre 2022. Pour beaucoup, l’acronyme incarne désormais les espoirs de la finance durable – à savoir une réallocation massive des capitaux vers des entreprises et des activités respectueuses du climat et de la biodiversité.

Le problème, c’est que – moins de 20 ans après sa naissance dans un obscur rapport des Nations unies – le terme est déjà discrédité. Entre marketing agressif et parfois trompeur, promesses de surperformance, problèmes de mesure et de comparabilité, accusations de greenwashing, l’industrie fait aujourd’hui face à des critiques de plus en plus nombreuses et virulentes.

Les régulateurs montrent les dents

Pour certains observateurs, le coup de grâce a été porté le 31 mai dernier par la police allemande lorsque celle-ci a perquisitionné les locaux de DWS, la filiale de gestion d’actifs de Deutsche Bank. La saisie avait été autorisée dans le cadre d’une enquête pour fraude à l’encontre du gérant, qui est soupçonné d’avoir menti sur le volume réel de ses fonds ESG sous gestion – une pratique répandue parmi les gestionnaires d’actifs, qui se livrent une concurrence acharnée visant à attirer l’épargne d’une nouvelle génération d’investisseurs ayant à cœur de mettre leur argent au service de la bonne cause.

Il n’y a pas qu’en Europe – où la plupart des fonds ESG sont par ailleurs domiciliés – que les régulateurs montrent les dents. Outre-Atlantique, la Securities and Exchange Commission, l’autorité des marchés américains, a récemment imposé une amende de 1,5 million de dollars à la banque d’investissement BNY Mellon et a ouvert une enquête à l’encontre de Goldman Sachs.

Urgent besoin de redéfinition

Ces déboires récents suggèrent, a minima, que le terme a cruellement besoin d’une redéfinition. Le durcissement actuellement en cours du cadre réglementaire en vigueur dans l’UE peut se révéler être une opportunité. Depuis mars 2021, un règlement impose des obligations de transparence aux intermédiaires financiers en matière d’investissements durables. Une autre directive, qui devrait normalement être adoptée d’ici à la fin de l’année, a pour but d’étendre les obligations actuelles des entreprises en matière de diligence. À l’avenir, un plus grand nombre d’entre elles devront par exemple publier davantage d’informations quant à l’impact du climat sur leurs activités – et vice-versa.

Ces avancées en matière de régulation, en clarifiant encore davantage ce qui a sa place dans un produit financier durable, pourraient donc permettre aux investissements ESG de se racheter une réputation et de laisser derrière eux leurs excès de jeunesse. De nombreuses pistes d’amélioration existent, l’enjeu principal étant de dissiper l’ambiguïté inhérente au concept de base pour en faire un indicateur clair, cohérent et comparable pour les investisseurs.

Regarder la réalité énergétique en face

Mais avant de relooker ESG, il est crucial que l’industrie reconnaisse une vérité douloureuse. En donnant l’impression que profit et vertu vont toujours de pair et en promouvant une vision binaire de la durabilité, le label ESG promet le beurre et l’argent du beurre. Ce faisant, il masque les choix difficiles – mais bien réels – qui sont au cœur de la transition énergétique et de la lutte contre le changement climatique.

La guerre en Ukraine n’a fait que mettre ces dilemmes en exergue. L’Europe découvre dans la douleur que sécurité énergétique et décarbonisation ne vont pas toujours ensemble et que la provenance de son approvisionnement en énergie est parfois tout aussi importante que sa concentration en CO2. En anoblissant le gaz naturel et le nucléaire au rang de sources d’énergie « vertes » dans sa taxonomie, l’UE a bon dos, mais ella a au moins le mérite de regarder la réalité énergétique en face. Dans son scénario Net Zero by 2050, l’Agence internationale de l’énergie estime que la contribution du nucléaire à l’approvisionnement énergétique total est censée doubler d’environ 5% actuellement à plus de 10% d’ici 2050, tandis que celle du gaz naturel est présumée rester constante à 23% jusqu’en 2030 au moins.

Implications pour la Suisse

La Suisse s’est donnée pour objectif d’être un leader en matière de finance durable. Au vu des derniers développements en matière d’investissements ESG, l’enjeu pour la Confédération est de développer un cadre réglementaire robuste qui garantit de hauts standards en matière de transparence sans toutefois pénaliser la compétitivité de sa place financière.

Les développements en la matière sont extrêmement dynamiques. En 2021, la FINMA a clarifié ses attentes en matière de lutte contre le greenwashing et concrétisé les obligations de transparence auxquelles les banques et les assurances doivent se plier. À l’heure actuelle, le Conseil fédéral est en train de plancher sur une ordonnance relative au rapport des grandes entreprises sur les questions climatiques.

Derrière ces efforts législatifs se cache notamment le développement rapide de la réglementation européenne évoqué plus haut. Pourtant, comme le souligne le programme « Place Financière » du foraus dans une réponse à la consultation concernant l’ordonnance du Conseil fédéral, le texte semble déjà accuser un temps de retard sur le tempo européen et ne repose pas sur une base légale suffisamment robuste.

Au vu de ses objectifs, la Suisse a tout intérêt à rester le plus à jour possible en matière de réglementation en adoptant une attitude proactive. La publication récente des « Swiss Climate Scores », une série d’indicateurs établissant de bonnes pratiques en matière d’investissements durables, est un signal encourageant et a le mérite de se focaliser uniquement sur la composante environnementale. En matière de finance verte, le message est clair : il s’agit désormais de séparer le bon grain de l’ivraie.

 

 

Image credits: nattanan23 on Pixabay