Démocratisation de l’Afrique du Nord, un effet laboratoire ?

Development policy

Par Fanny Charmey et Riccardo Bussmann En marge de la Résolution 1973, l’intervention armée autorisée par le Conseil de Sécurité sur la base de la responsabilité de protéger la population se calibre sur la chute du dictateur. En effet, la démocratisation des Etats d’Afrique du Nord semble être le but auquel prétendent les Etats occidentaux, mais chacun fait preuve d’une forte volonté d’implication minimale dans ce processus et promeut l’initiative individuelle devant la stratégie commune.

Une démocratisation intuitive ?

Nous ressentons de la part des alliés un tel souci constant d’implication minimale dans le conflit libyen que l’on arrive à se demander quels sont les véritables intérêts que poursuivent les Etats derrière cette action militaire. On devinera que l’établissement de la démocratie dans les pays du Maghreb soit d’un intérêt tout stratégique pour de nombreux pays occidentaux, mais la démocratie ne peut être implantée si les conflits perdurent. Ainsi l’intérêt de base des alliés se voit freiné par leur attitude même dans le conflit. Il est trop souvent assumé que la démocratie est une valeur intrinsèque de l’être humain et qu’il suffit d’un sursaut pour que finissent par s’activer chez lui ces valeurs fondamentales. Si les événements récents en Afrique du Nord montrent que les hommes cherchent à se battre pour leurs libertés individuelles, on a observé que le simple décrêt de la démocratie, qui est l’expression politique de ces libertés, n’était pas la solution instantanée à la résolution de la situation. L’afflux d’émigrés tunisiens en Europe après la chute de leur régime illustre ce paradoxe de la pensée occidentale. On s’étonne a posteriori que dans ces Etats sans héritage démocratique celle-ci ne s’impose pas d’elle-même et les Etats occidentaux semblent avoir de la peine à comprendre le chaos résultant d’un boulversement de pouvoir. Sans soutien à long-terme et surtout sans perspectives d’avenir, ce n’est toutefois souvent que le chaos qui se perpétue sur les bases violentes que représente la chute d’un régime autoritaire.

Implication indirecte

Le problème de l’investissement minimal des Etats alliés pour protéger leurs arrières tout en voulant imposer leur modèle de penser n’est donc pas soluble. Les Etats-Unis demandent une plus grande participation des membres de l’OTAN, mais l’on constate qu’une implication indirecte des Etats occidentaux, parallèle à la mission militaire des forces alliées en Libye, est déjà en cours en Afrique du Nord. Ce manque de transparence dessert les alliés, car d’une part elle remet en cause la contribution à la violence occasionnée par les frappes militaires alliées et d’autre part elle est amplifiée par le manque d’action commune. On citera l’exemple du Center for Applied Nonviolent Action and Strategies (CANVAS), dont les idées ont été appliquées par les membres jeunesse du parti pour la révolution egyptienne en avril dernier. Ce centre a été fondé par des anciens membres d’Otpor!, qui est une ONG serbe prodémocratique qui donne des conseils sur la façon de résoudre des conflits de façon non-violente sur la base de l’expérience récoltée durant la lutte contre Milosevic en 2000. Si les idées de ce centre peuvent contribuer à l’établissement pacifique d’un nouveau gouvernement, elles passent inaperçues dans le marasme des initiatives individuelles, et gagneraient à une collaboration accrue avec d’autres institutions pro-démocratiques pour gagner en légitimité. Si chacun y va de sa propre stratégie et de ces propres conseils, le résultat de la démocratisation de l’Afrique du Nord risque de diverger grandement des conceptions occidentales. La Suisse, qui a récemment décrété son soutien à la Tunisie par l’envoi d’experts pour notamment consolider les institutions démocratiques, devrait également en prendre note. En conclusion, il est grand temps d’isoler les volontés précises qui régissent les motivations à l’implication directe ou indirecte des Etats occidentaux en Afrique du Nord. Il s’agit de reconnaître si une stratégie commune doit être développée afin d’éviter l’effet laboratoire des initiatives individuelles.

Fanny Charmey est la coordinatrice du groupe « Organisations internationales » et étudie la science politique et la linguistique comparée à l’Université de Zurich.

Riccardo Bussmann est membre du groupe « Paix et Sécurité » et étudie les relations internationales à l’Université de Genève.

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