Briefing de politique étrangère: Place financière suisse

En plein cœur de l’automne électoral 2023, nous lançons une série de briefings de politique étrangère concis. Dans ces 14 briefings thématiques, 23 auteurs reflètent la diversité des défis de politique étrangère qui ont occupé les parlementaires ces quatre dernières années et qui détermineront l’agenda politique dans un avenir proche ou moyen. Jusqu’aux élections nationales du 22 octobre, nous publions également les briefings de politique étrangère sous forme de série de blogs.

Place financière

Executive Summary

-Le naufrage de Credit Suisse met en lumière les insuffisances du cadre réglementaire (“too big to fail”) censé encadrer les banques d’importance systémique, ainsi que la faiblesse de la FINMA.

-Pour la Suisse, c’est l’occasion de faire un peu d’introspection : quelle est réellement la valeur ajoutée d’une grande banque pour notre économie ? 

-La réponse à cette question déterminera les enjeux réglementaires soulevés par la nouvelle UBS. 

 

Rétrospective

En raison de leur envergure et de leur imbrication dans le système financier mondial, les banques d’importance systémique peuvent compromettre la stabilité financière en cas de défaillance non ordonnée. Le cadre réglementaire « too big to fail » (TBTF), élaboré sous impulsion internationale après la crise financière de 2008, vise à mieux encadrer ces institutions. À partir de 2012, ce cadre a été progressivement repris en Suisse et fait l’objet d’adaptations régulières. La Confédération a même décidé d’aller plus loin que les standards internationaux en instaurant des exigences plus strictes (Swiss finish). Des ajustements législatifs [2,3,4] étaient encore en train d’être effectués lors de la dernière législature. 

Avant mars 2023, il était difficile d’évaluer l’impact de ces réformes sur la stabilité du système financier. La Suisse était convaincue de faire partie des bons élèves. À l’inverse, le Fonds monétaire international pointait du doigt en 2019 déjà plusieurs lacunes de l’approche helvétique, notamment en matière de supervision. 

Le rachat de Credit Suisse (CS) par UBS va marquer l’histoire de la place financière suisse. Pour la classe politique, il s’agit désormais de faire la lumière sur cette affaire. Ce processus a commencé lors de la session parlementaire extraordinaire d’avril 2023. Le Conseil fédéral a annoncé qu’il comptait répondre aux multiples postulats (notamment 23.3443, 23.3446, 23.3447) déposés dans son prochain rapport sur les banques d’importance systémique en avril 2024. Les conclusions d’un groupe d’experts sont attendues pour la mi-août. Une commission d’enquête parlementaire (CEP) a pour mission de tirer au clair les responsabilités des divers organes fédéraux impliqués. La création d’une CEP, qui n’avait pas été jugée nécessaire après le sauvetage d’UBS, trahit la forte politisation de l’affaire. 

 

Perspectives

Le naufrage de CS doit nous permettre de réfléchir aux futurs contours de notre place financière : quelle est réellement la valeur ajoutée d’une grande banque pour notre économie ? Sommes-nous d’accord d’accepter les risques qui y sont associés ? Un tel exercice d’introspection, qui n’avait pas été effectué après l’affaire UBS, pourrait commencer par un calcul coûts-bénéfices basé sur des chiffres concrets. 

En Suisse, le secteur financier représente 8.9% du PIB. C’est plus qu’aux États-Unis (8.3%) et au Royaume-Uni (8.6%), mais moins qu’à Singapour (12.8%), Hong Kong (23% en 2020) et au Luxembourg (26.1%). Le secteur financier suisse équivaut également à 5.2% des emplois et 13.3% des revenus fiscaux totaux. Si l’on part du principe que la nouvelle UBS représente environ 40% de la valeur ajoutée du secteur bancaire, ce qui est cohérent avec son poids en termes de bilan, alors elle contribuerait à hauteur de 2% du PIB national. 

Ce chiffre est à interpréter à l’aune d’autres arguments économiques généralement employés pour justifier la plus-value d’une banque à vocation internationale : effets d’échelle, gains d’efficacité, services financiers spécifiques (par ex. financement des exportations) et compétitivité accrue pour certaines activités. A titre d’exemple, il apparaît difficile de dissocier CS et UBS de la réussite suisse en matière de gestion de fortune transfrontalière. 

Vu que les banques d’importance systémique bénéficient d’une garantie étatique implicite, en héberger une sur son sol comporte des risques. Correctement estimer ces risques nécessite d’aller plus loin que de simplement comparer bilan et PIB national. Un tel calcul ne renseigne en rien quant aux coûts potentiels pour le contribuable lorsque l’État doit soutenir une grande banque. À noter que, pour l’instant, tant le sauvetage d’UBS que l’aide apportée à CS ont fini par rapporter un bénéfice net à la Confédération et la BNS. 

La réflexion amorcée plus haut, à laquelle il faudrait intégrer des considérations non-économiques (identité nationale, réputation, soft power, …), clarifierait simultanément les enjeux réglementaires soulevés par la nouvelle UBS. Si la Suisse n’a pas besoin d’une grande banque, des exigences en fonds propres très pénalisantes à partir d’une certaine taille suffiraient à assurer qu’aucune banque ne grandisse trop. Un découpage ordonné d’UBS en plusieurs entités serait également envisageable. À l’inverse, garder une grande banque nécessiterait un réel débat sur la modernisation du filet de sécurité financier en Suisse (système de garantie des dépôts vétuste, absence de fonds de résolution) et sur le futur du cadre TBTF plus largement. 

Au niveau international, des travaux [13,14] incorporant les turbulences bancaires de mars-avril 2023 aux États-Unis sont en cours afin de déterminer les implications des événements récents. Les discussions porteront principalement sur trois points : (i) l’opérationnalisation des plans de liquidation et d’assainissement, (ii) un éventuel durcissement des exigences en matière de fonds propres et de liquidités et (iii) le rôle et les prérogatives du superviseur. 

Premièrement, si les plans d’urgence de CS avaient été approuvés par la FINMA, les autorités suisses ont jugé qu’ils n’étaient pas “activables”. Il est pourtant très improbable que l’existence d’une grande banque soit menacée dans un environnement de marché bénin. Cela implique donc de revoir en profondeur les hypothèses qui sous-tendent la mise en œuvre de ces plans (accès à des liquidités, conversion des obligations AT1, …).

Ensuite, les deux analyses les plus fouillées depuis la crise (BNS, Université de Saint-Gall) vont dans le sens d’un durcissement réglementaire. Les indicateurs de liquidités et de fonds propres ne sont toutefois pas un très bon baromètre de la santé d’une banque. Ils doivent être interprétés de manière plus large. À titre d’exemple, la couverture en fonds propres de CS est restée au-dessus du seuil réglementaire durant toute sa chute. 

Enfin, le naufrage de CS a jeté une lumière crue sur la faiblesse de la FINMA – qui est un corollaire de la forte influence du secteur bancaire suisse sur la réglementation dont il fait l’objet. Les événements récents sont une opportunité pour lui donner les outils nécessaires à l’accomplissement de son mandat (amendes, davantage de liberté dans la communication de ses résultats, …).