Sanctionner malgré soi : l’échec d’une réponse européenne face à la politique iranienne de Trump

S’il est communément admis que la lente agonie de l’accord de Vienne résulte principalement de la décision unilatérale de l’administration Trump de dénoncer ledit accord et de rétablir les sanctions visant la République Islamique d’Iran, l’extraterritorialité de ces sanctions force les états européens à appliquer de facto les sanctions américaines comme expliqué dans le premier blog de cette mini-série sur l’Iran. Alors qu’un deuxième blog revenait sur les origines de la problématique de l’extraterritorialité des sanctions américaines, ce dernier blog de la mini-série propose d’explorer la réaction européenne à la politique de Trump et in fine son échec. 

 

Un discours volontariste 

Depuis l’annonce du retrait américain de l’accord de Vienne, la Commission européenne n’a cessé de répéter son soutien à l’accord et sa volonté de permettre à ses agents économiques de continuer à faire des affaires à Téhéran. 

Les États membres de l’Union, ainsi que la Suisse, continuent, de manière unanime, à considérer l’accord de Vienne comme un outil précieux pour contenir les ambitions nucléaires iraniennes et considèrent que le retrait américain le met en péril. En outre, en raison de leurs extraterritorialités, les sanctions américaines affaiblissent les positions économiques des Européens en Iran, provoquant la cessation, ou tout du moins le gel, de l’activité renaissante d’importantes entreprises européennes, et cela notamment aux profits de concurrents chinois

L’Union européenne, ainsi que ses États membres parties à l’accord de Vienne, ont d’abord répondu au retour des sanctions américaines en affirmant leur volonté de continuer à appliquer l’accord, à la fois pour défendre leurs acteurs économiques face aux sanctions américaines et surtout convaincre l’Iran de continuer à respecter ses obligations malgré le retrait américain de l’accord. Cependant, plus d’un an après les annonces européennes, force est de constater l’échec d’une telle politique : l’immense majorité des entreprises européennes se sont retirées d’Iran et Téhéran se libère progressivement des obligations contractées dans un traité qu’ils considèrent ne plus être appliqué. 

 

L’échec de la réponse européenne. 

Une première réponse de l’Union a été d’actualiser le règlement dit « de blocage » de 1996, évoqué dans le précédent blog, pour y faire figurer en annexe les nouvelles sanctions américaines à l’encontre de l’Iran, ce qui sera chose faite le 6 juin 2018, sans produire de grands effets jusqu’à présent.

La timidité de la réponse européenne est bien illustrée par sa principale initiative visant à échapper aux sanctions américaines : la création d’un Instrument in Support of Trade Exchanges (INSTEX) ou « véhicule dédié ». Ce dernier équivaut à un véritable instrument de troc international, dans lequel l’argent d’importateurs de biens iranien en Europe permettrait de solder les comptes d’entreprises exportant des biens en Iran, permettant ainsi de commercer avec l’Iran sans besoin de transactions financières internationales – et notamment de recours au dollar. 

 

Cette structure para-étatique, lancée officiellement par la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni en janvier 2019 avec le support de l’UE, a dû être composée de fonctionnaires originaires des administrations des trois états initiateurs, méticuleusement répartis, pour diluer les risques juridiques outre-Atlantique. Le malaise devient palpable alors qu’il apparaît à présent qu’un tel dispositif a pour l’instant vocation uniquement de permettre l’échange de biens de première nécessité, qui ne tombent pas sous le coup des sanctions américaines. Sans surprise, l’Iran n’a montré que peu d’enthousiasme à mettre en place l’équivalent iranien nécessaire au fonctionnement du dispositif, et le complexe instrument présenté en grande pompe n’a produit que peu d’effets jusqu’à présent. 

 

Ainsi, malgré les tentatives de rassurer les entreprises européennes mises en œuvre par la Commission européenne, cette dernière, à l’instar de ses États membres et d’autres états européens, a échoué à offrir à ses acteurs économiques une protection jugée crédible face aux sanctions américaines. C’est ainsi qu’il faut lire les actuelles tentatives de médiations européennes, notamment françaises, entre l’Iran et les USA comme une solution de deuxième choix, suite à l’incapacité européenne de garantir la levée de facto des obstacles au commerce entre l’Iran et l’Europe. 

Pourtant, l’UE dispose d’un marché équivalent au marché américain et serait potentiellement en première ligne en cas d’instabilité supplémentaire au Moyen-Orient, ce qui rend difficilement supportables les contraintes économiques et stratégiques imposées par l’extraterritorialité des sanctions américaines. Sous l’administration Clinton, une plainte auprès du mécanisme de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) avait permis de trouver un compromis transatlantique sur la question, mais uniquement temporaire. Cependant, le peu de cas que manifeste l’administration Trump envers les règles multilatérales régissant le commerce international, ainsi que le blocage à venir de l’organe de règlement des différends de l’OMC, rendent sceptique sur les chances de succès rapide d’une telle option. 

 

Reste alors la possibilité d’une contre-attaque juridique visant des entreprises américaines, comme envisagé dans le règlement dit de « blocage » de 1996. Cependant, en raison de l’importance du marché américain pour certaines économies exportatrices européennes, notamment l’Allemagne, et de la dépendance stratégique de la quasi-totalité du continent envers le grand frère américain, il est peu probable qu’une stratégie si offensive soit retenue. Il n’en reste néanmoins que l’incapacité européenne à défendre ses entreprises et ses préférences de politique étrangère face à cette pratique américaine constitue un camouflet certain aux volontés affichées de souveraineté européenne.  

Source image : Image par Сергей Ремизов sur Pixabay