Pour lutter contre les mercenaires, la Suisse change son fusil d’épaule

Paix et sécurité

La Suisse est dorénavant munie d’une loi nationale contre les entreprises mercenaires : la LPSP. Elle doit à présent mener bataille sur le plan international.

 

Diligence Global Intelligence, Protection Sécurité Rapprochée (PSR), International Security Academy Israel (ISAI), Aegis Defense Service… Ces noms ne vous disent peut-être rien, pourtant ces entreprises militaires et de sécurité privées (EMSP) ont leur siège principal ou une holding en Suisse. A ce titre, elles font partie des entités visées par la nouvelle loi fédérale sur les prestations de sécurité privées fournies à l’étranger (LPSP). Cette loi interdit aux EMSP qui agissent depuis la Suisse à l’étranger de fournir des prestations susceptibles de favoriser des violations graves des droits de l’homme ou qui porteraient atteinte aux intérêts helvétiques. Sur notre territoire, ces entreprises seraient en tout une dizaine, réparties dans huit cantons: une bagatelle en comparaison internationale.

Un marché juteux, mais acide

Les entreprises militaires et de sécurité privées engagent des milliers – voire des dizaines de milliers – d’employés, sont actives partout à travers le monde, travaillent pour plusieurs millions de clients et leur marché est estimé à 100 milliards de dollars.

Les services proposés par les EMSP vont de la surveillance de biens mobiles ou immobiliers à la garde rapprochée et la défense. Leurs clients proviennent de multiples domaines : de la finance aux industries, en passant par les gouvernements, les organisations non gouvernementales et internationales, les entreprises pétrolières et gazières, les services de transports, le secteur aérospatial et portuaire, les médias, le tourisme,… A l’image, un hélicoptère de Blackwater en Iraq en 2004.

Là où le bât blesse, c’est que le personnel d’une EMSP – parfois armé et actif dans des zones de crise – pourrait prendre part à un conflit et impliquer ainsi, indirectement, l’Etat où l’entreprise a son siège. Ce genre de scénario est rendu possible par le manque de réglementation en la matière au niveau international et national. Le carnage de la place Nisour à Bagdad en 2007 – où des employés de Blackwater, l’une des plus grosses compagnies militaires privées, ont ouvert le feu sur la foule – témoigne de la zone d’ombre dans laquelle évoluent ces sociétés. Là où les dérapages sont rarement punis et les affaires passées en “sous mains”.

C’est pour éviter d’être impliquée dans un tel bourbier diplomatique et pour sauvegarder son image que la Confédération a élaboré la LPSP. Un pas en avant sur le plan national, qu’elle doit désormais allonger au-delà de ses frontières.

La Suisse doit mettre à profit ses compétences et la GI pour lutter contre les mercenaires

Avec la LPSP, la Suisse, déjà instigatrice et promotrice du Document de Montreux (2008) et du Code de conduite international des entreprises de sécurité privées (ICoC, 2010) “[…] joue un rôle de précurseur pour les autres Etats en légiférant dans ce domaine”, comme le souligne le Parlement.

Plus modestement, la Confédération helvétique ne devrait pas présenter à ses partenaires sa nouvelle loi comme un modèle législatif – car elle est encore lacunaire – mais elle pourrait continuer sur sa lancée. La Suisse, avec le Comité international de la Croix rouge (CICR) et le centre d’expertise DCAF à ses côtés, détient le “lead” dans le domaine des EMSP et jouit ainsi d’une marge de manœuvre non négligeable.

En outre, la Confédération helvétique dispose d’un atout encore sous-estimé : la Genève Internationale (GI). En tant qu’Etat hôte des principales organisations internationales – qui s’avèrent être des clients de choix des entreprises visées ici – la Suisse pourrait utiliser la GI comme plateforme de sensibilisation, avec pour slogan : “La Genève Internationale est humanitaire et anti-mercenaire”.

A travers la GI, elle pourrait faire passer son message et encourager les Etats à adopter des lois nationales concernant les EMSP actives en zone de conflits et promouvoir un nouvel accord international sur cette problématique. Ses mots d’ordre pourraient être “non-ingérence” et “lutte contre l’impunité” – une impunité dont bénéficie bon nombre d’employés des EMSP. Du point de vue de sa stratégie de politique étrangère, un tel engagement ne serait pas à légitimer : l’un des axes prioritaires de la politique extérieure suisse est justement la lutte contre l’impunité. Finalement, pour sa crédibilité, elle devrait également ratifier la Convention contre le mercenariat.

Le marché des entreprises de sécurité privées est appelé à s’accroître dans les années à venir et la Suisse a tous les outils en main (Document de Montreux, ICoC, LPSP, Conventions de Genève) pour encourager une législation pertinente à leur égard sur le plan international. Il ne manque plus qu’à donner l’impulsion de départ.