“Lex USA”: Renard ou hérisson – quel Suisse êtes vous?

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De Julien BriguetQue peut-on encore dire sur la Lex USA? Accepter, refuser, s’abstenir. Les commentaires et avis sont nombreux. Ce blog se propose de rappeler comment les débats ont rapidement été réduits à une question et de montrer comment cette réduction ad absurdum empêche d’envisager une stratégie plus large et plus flexible. Les alternatives existent et doivent être pensées, au-delà de la division pour ou contre la Lex USA.

Selon un vers du poète grec Archiloque repris par Isaiah Berlin, le renard sait beaucoup de choses tandis que le hérisson n’en sait qu’une, mais elle est très importante. Le renard, fin, subtil et matois, est capable de développer une myriade de stratégies furtives ou bondissantes pour atteindre son but. Le hérisson, protégé de ses dards, dandine de sa démarche pataude vers son but sans jamais dévier du sentier qu’il s’est tracé. Le hérisson réduit sa stratégie de survie à une vision d’ensemble, basée sur l’essentiel, tandis que le renard essaie de multiples stratégies afin d’imposer son choix initial sans jamais se fier à un concept général. Le débat au parlement sur la Lex USA est un débat d’hérissons qui s’est limité à une pesée aveugle des risques et des intérêts. La Lex USA n’est ni un débat cornélien, ni la dernière alternative à disposition. Son urgence n’est que la conséquence de l’imagination fertile d’hérissons. Au fond, ce débat dépasse les questions fiscales et met en jeu notre manière d’envisager la politique: quel Suisse êtes vous et quel gouvernement souhaitez-vous? Plutôt hérisson? Plutôt renard?

Le scénario des hérissons

Le débat sur la Lex USA doit être placé dans un contexte plus large. Au-delà du cas particulier des banques impliquées, la Lex USA pose la question central du règlement du passé et passif fiscal de la Suisse. Comment transmettre des données relatives aux employés de banques, aux activités offshores ainsi qu’aux tiers? Or, le débat actuel en est bien éloigné. Le refus du Conseil National pourrait sonner l’hallali de la Lex USA. Le débat mené ressemble à une bataille rangée de hérissons aux pics dressés, dodelinant tantôt avec ardeur tantôt avec paresse vers leurs adversaires. Soit l’accord est accepté, et le passé est réglé au prix de notre place financière. Suivent des mots tels que capitulation, dictat, exigences européennes. Soit l’accord est refusé, et la catastrophe s’abat sur nos banques au prix de notre place financière. Suivent des mots tels que mise en inculpation, opérations en dollars, marchés interbancaires et faillites. Les conséquences seraient jugées difficiles pour la place financière dans un cas comme dans l’autre. Au-delà de cette alternative, deux inconnues contribuent à complexifier l’équation et servent tantôt un camp, tantôt l’autre: soit l’envergure de la coopération que les banques devront entretenir avec les autorités américaines ainsi que les possibilités réelles pour les banques impliquées pour l’heure ou dans le future d’obtenir des accords de non poursuite ou de suspension des poursuites. Ainsi, le débat revient à peser des risques inconnus pour éviter une catastrophe. La question essentielle, soit les alternatives possibles de transmission de données, reste occultée.

Un scénario dont le renard se joue

Le renard avec ses stratégies bondissantes et son élégance naturelle ne peut s’arrêter à un scénario aussi fermé. Au-delà de la simplicité des hérissons, rappelons quatre points relatifs à la transmission des données qui ouvrent de nouvelles perspectives:

Le Conseil fédéral n’est pas sans alternative. Le message du Conseil fédéral relatif à la Lex USA est peu clair. L’autorisation au cas par cas est possible même si des restrictions légales supplémentaires en matière de protection des données limiteront la marge de manœuvre des banques. Elle s’expose à des risques juridiques des intéressés dont les données ont été livrées. Des arrêts récents du Tribunal Fédéral et du Tribunal Pénal Fédéral ont abouti à une pesée d’intérêt en faveur des banques, en reconnaissant une latitude importante aux actes d’Etats en situation d’urgence. De ce fait, les risques restent limités. De plus, en cas d’escalade et la réunion de trois conditions (intérêt public prédominant, proportionnalité, limite dans le temps), le Conseil fédéral dispose du droit d’urgence sur la base de l’art. 184 al. 3 de la Constitution fédérale. Sous certaines conditions strictes, l’application de la clause générale de police, encore plus large, ne sauraient être exclues.

La livraison de données peut se faire à plusieurs niveaux. les données qui doivent être transmises afin de coopérer et éviter une éventuelle inculpation excluent les données relatives aux clients. Il s’agit essentiellement de données relatives au comportement des clients, aux employés ainsi qu’aux tiers. Diverses normes pénales s’appliquent à la transmission de telles données. L’autorisation du Conseil fédéral donnée sur l’art. 271 ch. 1 du Code pénal a permis aux banques une première coopération. Elle permet une coopération totale pour autant que les banques décidant de collaborer supportent les risques juridiques. Les banques pourraient y être favorable: a fortiori quand on considère qu’une partie des données pourraient être livrées sans base légale particulière.

L’intérêt des Etats-Unis à des mises en inculpation successives reste limité. l’intérêt premier du Département de justice américain est la mise à jour d’un système en infraction avec des normes pénales américaines. Son intérêt premier est de rassembler un large nombre de données de diverses sources afin de mettre à jour une “conspiration”. La mise en inculpation de banques rendrait comparativement ce travail plus long et difficile dans la mesure où la transmission de certaines données aurait lieu par le biais de l’entraide pénale en matière internationale. L’inculpation d’une banque de moindre importance – plus vraisemblable qu’une banque d’importance systématique – n’aurait que valeur de signal.

Les banques ont des alternatives afin de minimiser le risque. une mise en inculpation ne signifie pas dans tous les cas la fin de l’activité bancaire. Les banques disposent de multiples moyens juridiques afin d’isoler leurs activités américaines en fonction de leur structure commerciale existante. Une séparation des actifs américains ou une restructuration de la banque contribueraient à protéger les portefeuilles sous gestion et conserver les segments de clients pertinents.

Le Conseil fédéral, fin renard? On ne peut reprocher aux parlementaires un choix impossible. On ne peut reprocher au Conseil fédéral d’avoir tenté un calcul politique pour tenter d’arracher la moins mauvaise des solutions. Toutefois, un refus de la Lex USA imposerait au Conseil fédéral un changement rapide de stratégie: d’hérisson tapi dans l’illusion d’une stratégie globale à un renard bondissant et furtif. Le hérisson se défend. Le renard attaque. Le hérisson se rétracte derrière une défense illusoire et limitée. Le renard esquive, innove puis s’élance élégamment vers son but. Le possible échec de la Lex USA devant le parlement envoie un signal fort au Conseil fédéral: il souhaite un Conseil fédéral ferme avec les banques, flexible dans ses solutions pour développer de nouvelles bases légales et prêt à utiliser le droit d’urgence. Un gouvernement, en somme.

 

 

Julien Briguet était coordinateur du programme Place financière au sein du foraus ainsi que membre du comité.

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