Le cycle de Doha : ou l’âne vêtu de la peau du lion

Place financière

De Julien Briguet – Dans un contexte multilatéral commercial bloqué, la Suisse est confrontée à de multiples dilemmes que le récent rapport sur la politique commerciale extérieure ne fait que survoler.

A l’image de l’âne du compère La Fontaine, l’OMC s’est enfoncé dans un discours lénifiant de justice commerciale, postulant que l’agenda de négociation du cycle de Doha serait suffisamment large pour n’exclure aucune revendication et suffisamment attrayant pour faire disparaitre pouvoir et intérêts nationaux. L’âne-lion se révéla vite baudet décrépi. Le problème n’est pas la justice en soi mais la manière dont l’OMC a articulé ce concept en ignorant deux défis majeurs : le principe du « Single Undertaking » et l’intégration de la Chine dans le système commercial mondial.

Le principe du « Single Undertaking » adopté lors de l’Uruguay round (1995) combiné à la démocratisation multilatérale de l’OMC pose un dilemme difficile à résoudre. Ce principe voulant que « rien n’est acquis quand tout n’est pas acquis » fut une manœuvre tactique des pays développés pour parvenir à conclure l’Uruguay round. Cette tactique a néanmoins eu des effets durables en contribuant à modifier les stratégies de négociation des pays membres. Au fond, le choix est relativement simple : soit les Etats s’entendent sur un accord partiel mais inclusif soit sur un accord complet mais exclusif.  Autrement dit, la mécanique de négociation dans sa forme actuelle est bloquée et toute réforme posera des dilemmes douloureux et inévitables qu’aucun des grands Etats n’est prêt pour l’heure à trancher ; a fortiori en année électorale (Etats-Unis) ou de transition de pouvoir (Chine).

L’intégration de la Chine au sein de l’économie mondiale a largement contribué au blocage. Prenons la sous-évaluation du Renminbi, longtemps pivot de la stratégie de développement chinoise. Premièrement, elle réduit fortement la valeur des concessions chinoises par le fait que ces concessions peuvent être indirectement assouplies par une politique monétaire dirigée. Deuxièmement, elle rend improbable les concessions des principaux partenaires de la Chine – à l’image des Etats-Unis. Troisièmement, elle cause un surplus commercial important causant de nombreux déséquilibres mondiaux sur lequel l’OMC n’a aucune influence mais qui tendent à renforcer l’attrait du protectionnisme. L’actuel re-balancement tenté par le pouvoir chinois peine à atteindre les effets escomptés et contribue au blocage. Il reste néanmoins trop tôt pour déterminer du succès ou non de ses réformes.

Dans ce contexte multilatéral difficile, la Suisse, petit pays dans un monde multipolaire, est confrontée à un dilemme difficile. Sans puissance commerciale, elle peut difficilement choisir la voie dans laquelle elle doit s’engager. La publication du récent rapport de politique extérieure 2011 suggère, sans développer une véritable grande stratégie (p. ex. allocation des ressources et innovations envisagées), les pistes que la Suisse s’apprête à suivre : acceptation d’une OMC à plusieurs vitesses de manière inclusive ou exclusive, renforcement des négociations avec l’Europe et développement du réseau d’accords bilatéraux. Quelle est la position du Conseil fédéral sur le développement du réseau d’accords plurilatéraux entre régions qui a remplacé l’accord bilatéral comme alternative au multilatéralisme ? Comment la Suisse envisage-t-elle d’y faire face et de défendre sa position face aux discriminations qui pourraient en résulter ? Oserions-nous envisager la possibilité d’accords transrégionaux et de zones commerciales liant de petits pays aux économies complémentaires ? Autant de spéculations et de questions qui devraient faire l’objet d’une véritable stratégie commerciale et que le récent rapport (aussi descriptif que ses prédécesseurs) ignore complètement.

Julien Briguet est membre du comité de foraus. Il vit à Londres et étudie à la London School of Economics.

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