L’aviation internationale et le climat : un rôle à jouer pour la diplomatie suisse ?

Diplomatie & acteurs internationaux

Environnement, transports et énergie

Les ambitions environnementales de l’aviation internationale sont nettement insuffisantes. La Suisse peut jouer un rôle et faire contribuer cette industrie à l’effort global en faveur du climat.

 

Alors que les élections fédérales approchent, le climat navigue en tête des préoccupations des électeurs dans les sondages. L’année 2019 marque jusqu’à maintenant un tournant dans la prise de conscience climatique, comme le montrent par exemple les grèves pour le climat, le renforcement des partis verts aux élections européennes ainsi que la proposition de « Green New Deal » par Ursula von der Leyen, prochaine présidente de la Commission européenne. En Suisse, le Conseil fédéral a annoncé fin août viser la neutralité carbone d’ici à 2050, renforçant ainsi l’engagement de la Confédération vis-à-vis de l’accord de Paris qui cherche à limiter le réchauffement climatique à 1.5°C par rapport au niveau de l’ère préindustrielle. Pour la protection internationale du climat, le multilatéralisme (qui fête ses 100 ans) est plus que nécessaire, il est indispensable. Et la Suisse pourrait bien avoir un rôle à jouer. 

 

En effet, en 2016, les États membres de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) ont adopté le Carbon Offestting and Reduction Scheme for International Aviation (plus connu sous son acronyme de CORSIA) afin de faire contribuer l’aviation civile internationale à l’effort global en faveur du climat. Cet instrument international a pour objectif la croissance neutre en carbone de l’aviation internationale à partir de 2020. CORSIA ne prévoit donc pas une réduction des émissions de CO2 de l’aviation civile internationale, mais la mise en place d’un système de compensation basé sur le marché. Concrètement, les compagnies aériennes devront compenser les émissions de leurs vols internationaux lorsqu’elles dépasseront le niveau d’émission de 2020. Cet accord a été obtenu après de longues négociations au sein de l’agence onusienne et a été présenté comme un succès lors de son adoption.

 

Mais les temps ont changé, et des actions urgentes sont désormais nécessaires. CORSIA a été critiqué pour son manque d’ambition puisqu’aucune réduction des émissions de l’aviation civile internationale n’est exigée par l’instrument. La participation à CORSIA reste d’ailleurs volontaire jusqu’en 2027. De plus, l’OACI, qui est l’organisation onusienne responsable de la réduction de l’empreinte carbone de l’aviation civile internationale, s’est récemment retrouvée sous le feu des critiques pour son manque de transparence et l’opacité qui règne autour du processus de décision de son organe exécutif, le Conseil de direction. Ce dernier a la compétence d’approuver les règles liées à CORSIA, qui sont elles-mêmes développées au sein du Comité de l’aviation sur la protection de l’environnement (CAEP). Et c’est là que rentre en jeu la Confédération, car la Suisse est en effet membre de ce comité chargé de formuler les règles qui découlent de la mise en œuvre de CORSIA. 

 

 Une coalition d’ONG connue sous le nom de l’ International Coalition for Sustainable Aviation (ICSA) a récemment dénoncé la manière d’agir de ce comité, qui occupe pourtant un rôle non négligeable puisque l’avion constitue le moyen de transport le plus intensif en carbone. Ainsi, le comité ne comporte qu’un seul observateur représentant la société civile pour sept représentants de l’industrie de l’aviation. En outre, ses réunions sont fermées au public et nombre d’informations sur les décisions prises ne sont pas retransmises à l’extérieur. Selon l’ICSA, ces faits contreviennent à la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’environnement, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement de 1998, à laquelle sont juridiquement liés la Suisse mais aussi l’Union européenne et d’autres pays occidentaux.  

 

Sachant que la 40ème Assemblée Triennale de l’OACI, organe suprême de l’organisation qui se réunit tous les trois ans, aura lieu de fin septembre à début octobre, la diplomatie suisse pourrait se mettre à l’œuvre et plaider d’une part pour des réformes au sein de la gestion et de l’administration de l’OACI et d’autre part pour renforcer le niveau d’ambition de CORSIA, afin que l’aviation civile internationale contribue réellement à l’action climatique globale. La Suisse possède à ce titre plusieurs arguments. 

 

Elle est premièrement membre du groupe ABIS (Autriche, Belgique, Croatie, Benelux, Irlande, Portugal, Suisse), lui assurant ainsi une représentation de ses intérêts au sein du Conseil de direction de l’OACI. Ce groupe représente un des plus grands contributeurs au budget de l’organisation ainsi que l’un des plus grands fournisseurs d’experts pour la myriade de comités existants. La Confédération pourrait donc essayer de convaincre ces partenaires de la nécessité de mener à bien des réformes au sein de l’OACI et souligner l’urgence d’accroître les ambitions environnementales de l’aviation internationale. Pour ce faire, Berne peut aussi chercher le soutien de l’Union européenne, la Commission ayant également défini l’année 2050 pour atteindre la neutralité carbone comme objectif de long-terme. 

 

Enfin, cela semble être le moment propice pour agir, alors que le climat est propulsé à la tête de l’agenda mondial par l’éclosion médiatique de Greta Thunberg, les diverses mobilisations pro-climat ainsi que par le Secrétaire-Général des Nations-Unies, António Guterres, qui en a fait l’une des priorités de son mandat, illustré par le sommet onusien « Action Climat » qui a débuté le 23 septembre. 

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