Initiatives populaires et droits fondamentaux : et si la solution venait de l’intérieur ?

Droit international

Par Guillaume Lammers – Malgré le besoin de réformer la procédure relative aux initiatives populaires, il semble, au vu des derniers événements, qu’on soit encore loin d’avoir des résultats concrets. Le fait d’envisager la problématique sous un autre angle pourrait être une solution.

Le 13 avril dernier, le Conseil national décidait de ne pas donner suite à l’initiative parlementaire d’Isabelle Moret visant, en cas de doute sur la validité d’une initiative populaire, à introduire un contrôle préalable par le Tribunal fédéral. Le jeudi 19 mai, la Commission des institutions politiques du Conseil national a adopté une motion par laquelle elle souhaite introduire un contrôle préalable non contraignant débouchant sur un rapport, sur la base duquel les initiants pourraient modifier leur initiative ; elle souhaite également élargir les critères de validité des initiatives populaires, en y ajoutant le respect du noyau dur des droits fondamentaux inscrits dans la Constitution fédérale et la Convention européenne des droits de l’homme.

C’est mieux que rien. Mais en même temps, la frilosité dont fait preuve notre parlement sur cette question interpelle. Il semble en effet urgent de réviser un système qui s’avère insuffisant. Le nombre d’initiatives populaires violant des normes internationales, en premier lieu les normes de protection des droits de l’homme, est loin de faiblir. La violation de ces normes, précisément, s’avère problématique non seulement par rapport à l’obligation qui est faite à la Suisse d’honorer ses engagements internationaux mais aussi, dans une perspective plus large, par rapport au respect des principes d’Etat de droit. Il ne faut pas oublier que le peuple, dans la procédure relative aux initiatives populaires, agit comme un organe étatique et doit, à ce titre, notamment respecter les droits fondamentaux.

La proposition de foraus

Dans le papier de discussion « Les initiatives populaires : premières pierres d’une réforme », plusieurs auteurs de foraus ont analysé la problématique et avancé plusieurs solutions concrètes. Parmi celles-ci, leur « variante optimale », qui propose l’insertion d’une norme de collision dans la Constitution fédérale, est une idée intéressante. Il découlerait d’une telle règle de collision que si, dans un cas d’application, une norme constitutionnelle résultant d’une initiative populaire provoquait une violation d’un droit fondamental inscrit dans la Constitution, elle devrait s’effacer au profit de ce dernier. Si on prend l’exemple de l’interdiction des minarets, celle-ci ne serait donc pas invalidée in abstracto mais c’est lors d’un cas concret, dans l’hypothèse où une demande de permis de construire est invalidée en raison de l’interdiction, qu’entrerait en jeu cette norme de conflit : en vertu de cette dernière, la liberté religieuse primerait sur l’interdiction de construire un minaret (à moins que l’interdiction respecte les conditions de restriction des droits fondamentaux prévues dans la Constitution).

En insérant la norme de conflit au sein de la Constitution, cette « variante optimale » déplace le débat en ne se concentrant pas exclusivement sur l’obligation de respecter le droit international, mais en mettant en avant la protection d’une catégorie de normes de première importance que sont les droits fondamentaux inscrits dans notre Constitution. Cette manière de faire se démarque de la tradition constitutionnelle helvétique. En effet, à la différence de l’Ewigkeitsklausel de la Loi fondamentale allemande, il n’existe aucune hiérarchie entre les différentes normes se trouvant dans notre Constitution fédérale. Or cette règle de collision créerait une telle hiérarchie. Même s’il existe déjà, au sein de la Constitution, un mécanisme prévu en cas de possible violation d’un droit fondamental, cette norme de collision amènerait plus de clarté et permettrait au citoyen de voter en pleine connaissance de cause.

A l’opposé, cette façon d’aborder le problème des initiatives populaires contraires au droit international présente certains avantages qui pourraient au final s’avérer probants. Ainsi, elle prend à contre-pied les adversaires de toute réforme des droits populaires en ne posant aucune limite supplémentaire à la procédure de l’initiative populaire proprement dite : ce n’est qu’après la votation, dans un cas concret, que la règle déploierait ses effets. De même, la source-même de la limite ne se trouverait pas dans le droit international, auprès des « juges étrangers », mais au sein de notre propre Constitution.

D’une pierre deux coups

La solution proposée par les auteurs de foraus ferait d’une pierre deux coups. Elle concrétiserait le caractère essentiel que représentent les droits fondamentaux pour notre ordre juridique et notre démocratie, et permettrait également de consolider la position de la Suisse en tant que partenaire fiable sur la scène internationale. Il ne faut en effet pas oublier que la majorité des initiatives populaires contraires au droit international violent, en premier lieu, la Convention européenne des droits de l’homme et le Pacte de l’ONU relatif aux droits civils et politiques. Or, en renforçant la protection des droits fondamentaux, la norme de collision envisagée par foraus aurait également pour effet de garantir un meilleur respect de ces traités internationaux.

Cette proposition ne permet toutefois pas de régler le problème des initiatives populaires contraires à d’autres engagements internationaux, comme les accords économiques. De même, si on se soucie de la réputation internationale de la Suisse, elle ne permet pas de résoudre les conséquences de l’acceptation d’une initiative populaire délicate sur la réputation internationale de la Suisse, telles qu’on a vues pour l’initiative populaire contre les minarets, par exemple. Mais il n’empêche que cette idée a le mérite de proposer une approche innovante ; on ne peut que souhaiter qu’elle donne une nouvelle impulsion à un débat qui a une fâcheuse tendance à s’enliser.

Guillaume Lammers est assistant diplômé à l’Université de Lausanne. Il rédige une thèse de doctorat sur la problématique des institutions de démocratie directe face au droit international. Il est coordinateur régional foraus à Lausanne et membre des groupes de travail « Droits de l’homme » et « Droit international public ».

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