Elections colombiennes – 3 questions à Jean-Pierre Gontard

Diplomatie & acteurs internationaux

Le 11 mars 2018, la Colombie vivait ses premières votations législatives depuis les Accords de la Havane consacrant la fin des hostilités entre les FARC et le gouvernement colombien. A l’issue de ce processus, la droite, ouvertement opposée à la paix, confirme sa position, tandis que des petits partis de gauche progressent dans les sondages révélant la polarisation politique de la société colombienne face à la pacification du pays. A l’approche des élections présidentielles, il est important de comprendre les conséquences des récents événements sur des accords de paix encore fragiles. Jean-Pierre Gontard, émissaire du département des Affaires étrangères suisses pour le processus de paix en Colombie entre 1998 à 2016 et ancien professeur à l’IHEID, nous a dressé un portrait saisissant de la situation.

1) La participation de FARC_ et le bon déroulement des élections législatives, grâce notamment, au respect par l’Ejército de Liberación Nacional du cessez-le-feu en Colombie sont-ils le signe du succès des accords de paix?

Tout d’abord, bien que la corruption soit récurrente lors des votations dans les zones rurales, la Colombie possède déjà une pratique démocratique bien ancrée dans la société.

Cependant, c’est la première fois depuis le début de la guérilla, qu’on observe aussi peu de violences en période d’élection et c’est la conséquence directe des accords de Caracas.

Toutefois, les législatives et le calme dans lequel elles se sont déroulées ne sont pas suffisants pour convaincre les 10% d’opposants aux accords que le respect des accords de la Havane est nécessaire. Au mieux, cela a convaincu quelques abstentionnistes… Dès lors, on assiste à une réelle avancée pour la paix en Colombie, sans pour autant que cette dernière soit réellement garantie.

2) Quelles sont, selon vous, les raisons derrière le succès de la droite ouvertement opposée aux accords de paix (Partido Centro Demócratico, Partido social de la Unidad Nacional et le Partido Conservador Colombiano)?

En faisant de l’opposition aux accords de la Havane un de leur cheval de bataille, les partis de droite Centro Democrático, Cambio Radical, le Partido de la Unidad, le Partido Conservador Colombiano_ et le parti évangéliste Movimiento Independiente de Renovación Absoluta (MIRA) ont certainement gagné des voix. Dès lors, les accords de paix resteront un élément central de la campagne présidentielle à venir.

Il existe un autre argument mis en avant par la droite pour récolter des suffrages: c’est celui de la peur d’une «invasion marxiste» inspirée du Venezuela et des chavistes. Dès lors, la situation au Venezuela constitue une opportunité de décrédibiliser les partis de gauche et Gustavo Petro, le candidat de la gauche aux présidentielles de 2018.

La majorité des Colombiens se satisfont du cessez-le-feu. La paix à long terme n’est pas au centre de leurs préoccupations. Ce sentiment s’est encore renforcé avec le bon déroulement des élections.

3) Selon vous, quels sont les scénarios pour la présidentielle de 2018 et quelles en seraient les conséquences sur le processus de pacification et de réconciliation nationale?

Il est probable que la droite constitue une coalition et que leur candidat obtienne la majorité des suffrages. A l’issue des primaires qui se sont déroulées en même temps que les élections législatives, c’est le protégé de l’ex-président Uribe, Iván Duque, qui est arrivé en tête. Sa possible élection pourrait faire planer un doute quant à l’application de certaines clauses socio-économiques des Accords de la Havane, telle que celles concernant l’éducation, la santé ou la réforme agraire. La question juridique (ndlr: la non-poursuite des crimes commis par les FARC) pourrait aussi être remise en question. Toutefois, il s’agit d’un technocrate, ce qui peut laisser penser qu’il adoptera une position raisonnable vis-à-vis des accords de paix.

Du côté de la gauche, qui a fait un bon score aux législatives, les différentes factions se rallieront vraisemblablement derrière la candidature de Gustavo Petro, un ancien membre de la guérilla M-19. Affilié au Polo Democrático Alternativo (PDA), ce dernier a été le maire de Bogota entre 2012 et 2015 et bénéficie d’une réputation d’homme intègre et stable. Bien qu’il soit à gauche et en faveur de la paix en Colombie, il s’est montré très critique vis-à-vis des FARC. Malgré qu’il soit victime de la propagande anti-chaviste, il est apprécié des milieux conservateurs.

En outre, le FARC a exprimé, dans son communiqué de presse, son intention de faire coalition avec la gauche au parlement, mais Gustavo Petro n’a pas répondu à l’appel.

La candidature de Fajardo, ex-maire de Medellin situé au centre-gauche de l’échiquier politique, représente une troisième option. Il sera vraisemblablement soutenu par le parti libéral, bien que ce dernier soit divisé en plusieurs factions, rendant un vote de bloc difficile. Il a déjà commencé une campagne d’ampleur nationale. Le soutien des partis de gauche est incertain. Avec son élection, les accords de paix seraient appliqués.

Face à ces éléments, il est difficile de dire s’il y aura une réelle coalition de gauche et, surtout, si cette dernière aura lieu avant le 1er tour, ou au contraire entre le 1er et le 2ème tour.

Image: Wikimedia

Source: Ola Política https://goo.gl/KZEeWR

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